Archive Atelier 4 : Ressources et changements rapides

Penser la ressource en contexte de changement rapide

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Coordination : Marie AUGENDRE (Lyon 2), Pauline TEXIER-TEXEIRA (Lyon 3), Didier GRAILLOT (EMSE)
 
 
 
La notion de ressource a longtemps désigné une entité concrète, matérielle et localisée (un gisement de pétrole, une rivière, une nappe phréatique, etc.), dans l’attente de l’exploitation humaine. Aujourd’hui, cette matérialité n’est pas séparable d’un processus d’identification / qualification par un acteur individuel ou collectif : un gisement de pétrole n’est ressource que pour une société dont l’énergie et la mobilité reposent en partie sur la chimie du carbone et le moteur à combustion. Enfin, la notion peut aussi prendre une acception non matérielle, le monde social offrant aux uns et aux autres des ressources spécifiques, variables selon leur position et leur histoire.Les ressources « à disposition » peuvent être définies comme l’ensemble des moyens matériels, relationnels ou symboliques, permettant la conception et la mise en œuvre d’un ensemble d’actions, inscrites dans un projet individuel ou collectif. Les ressources sont ainsi matérielles (pétrole, eau, sol, air, mais aussi objets manufacturés, etc.), économiques (revenu, capital, etc.), cognitives (connaissances techniques, scolaires, académiques – ou non), sociales (p.ex. capacité à mobiliser ou non un réseau de relations, à s’exprimer en public, etc.), patrimoniales (capacité à révéler/valoriser/construire tout ou partie d’un territoire), etc. La période contemporaine est marquée par des évolutions rapides, en matière de disponibilité des ressources matérielles (perspective d’un « monde fini ») comme d’organisation locale/globale : mouvements de population importants (guerres, sécheresses ou inondations de grande ampleur, montée du niveau des mers, etc.), bouleversements technologiques (p.ex. technologies numériques, procédés de valorisation), économiques (p.ex. crises financières, etc.), ou encore politiques (« printemps » arabes, etc.).Dès lors, penser la ressource en contexte de changement rapide revient à s’interroger sur les modalités contemporaines de construction et de gestion d’un « milieu » tout à la fois matériel, relationnel et symbolique.Le questionnement ci-dessus, très large, sera décliné selon trois entrées susceptibles d’être inter-reliées et de s’enrichir mutuellement.

  1. Ressources et changements globaux. La disponibilité et l’accès aux ressources matérielles sont susceptibles de subir les conséquences des changements globaux avérés irréversibles. Le contrôle de ces changements et la préservation des ressources supposent une prise de conscience collective et une action politique visant à faire évoluer les pratiques de gestion et de consommation de ces ressources. Cela nécessite, compte-tenu des incertitudes qui subsistent sur cette question, d’approfondir la caractérisation des pressions exercées par les activités humaines et de leurs impacts sur les milieux et les ressources naturelles locales et globales. À cette fin, deux types d’approches seront privilégiés au sein de l’atelier.
    • Le développement d’outils et de méthodes : par exemple, la méthode d’évaluation des services d’origine écosystémique pourra servir de guide. Elle a pour objectif de préciser et de quantifier les services que procurent les écosystèmes. Les réflexions s’accompagneront d’une évaluation de l’opérationnalité d’une telle méthode à l’échelle locale. Quelle est la pertinence des indicateurs définis à cette échelle ?
    • S’appuyant sur l’accueil récent d’une équipe d’anthropologues au sein de l’UMR EVS, une approche ethno-géographique sera menée. Elle repose sur l’étude conjointe des milieux physiques et des pratiques sociales, dans leurs dynamiques temporelles. Les connaissances produites alimenteront les réflexions en matière d’accessibilité aux ressources et d’inégalités socio-spatiales.

    Les terrains étudiés sont urbains ou ruraux et s’inscrivent dans des milieux soumis à des contraintes biophysiques variées.

    • qualifier une ressource comme patrimoine, c’est lui donner un nouveau statut nouveau susceptible d’induire une modification des perceptions et pratiques à son égard ;.
    • les ressources patrimoniales sont mobilisées comme levier d’action dans les projets de territoire qu’il convient d’analyser pour comprendre les logiques participant de la construction des territoires.
    • interroger le patrimoine comme ressource est un angle d’approche original et pertinent pour cerner les inégalités sociales. Le paysage, en vertu de sa dimension hybride, pourra servir de cadre pour traiter ces questions de manière transversale. D’autres approches pourront au contraire privilégier l’entrée par les patrimoines dits « naturels » ou « culturels », « matériels » ou « immatériels ».Ressources et patrimonialisation. Les environnements, « naturels » ou « construits » ainsi que les ressources qui y sont identifiées, sont qualifiés par la valeur qu’une société leur confère à un moment donné. La notion de patrimoine est l’expression de cette valorisation, puisqu’elle désigne tout type d’héritage qu’une société juge important de conserver et transmettre. Par ressources patrimoniales, il faut entendre à la fois les héritages dits « naturels » (ressources du sous-sol, biomasse, biodiversité, eaux, etc.) et les héritages dits « culturels » (artefacts et « mentefacts »). La patrimonialisation des ressources environnementales et culturelles est devenue un enjeu majeur des politiques territoriales qui peut conditionner la préservation et la gestion des ressources.
      Au-delà des discours consensuels sur le patrimoine, de nombreuses questions restent en suspens. Elles se rapportent :
      • Aux vecteurs de la patrimonialisation. Qui définit les patrimoines et selon quels critères ? Le patrimoine est le résultat des jeux d’acteurs inhérents à l’appropriation de l’espace et de ses ressources. Caractériser ces acteurs, les valeurs qu’ils défendent individuellement et collectivement et la manière dont se rendent les arbitrages, permet de comprendre les mécanismes qui fondent la patrimonialisation de la ressource.
      • Aux conséquences de la patrimonialisation
  2. Penser les ressources, affronter les risques : une problématique de l’incertitude. Soumises à des sources de danger qu’elles ont parfois produites, les sociétés sont confrontées à des incertitudes qu’il s’agit de réduire : au plan de la connaissance, comment identifier le danger et en rendre compte, avec quels savoirs, éventuellement quelle instrumentation ? Au plan de l’action, comment en limiter les effets ?
  • Les Sciences de la Vie et de la Terre (SVT), les Sciences pour l’Ingénieur (SPI) cherchent à qualifier et à représenter les phénomènes critiques selon les canons du monde scientifique et technique (modélisation numérique). Une dimension probabiliste y est parfois associée. L’ensemble des éléments mobilisés (savoirs, protocoles d’expérimentation, bancs d’essais, indicateurs, instrumentation), constituent pour les experts et chercheurs autant de ressources dont la construction ne va jamais de soi. L’incertitude élargit en effet les « espaces de liberté » de la réflexion, au point d’être à l’origine de controverses.
  • Malgré les incertitudes, il est nécessaire d’instaurer de règles et de règlements pour limiter l’exposition aux risques ; ainsi se trouvent engagés les acteurs publics, l’État et ses services, les collectivités territoriales, ainsi que d’importants acteurs privés (assureurs). Les jeux d’acteurs constituent autant de « terrains » susceptibles d’éclairer les modalités de gestion des risques au quotidien, souvent présentée comme rationnelle, mais parfois fort éloignée des critères de la « raison raisonnante ». Les populations sont souvent vues comme passives. Les ressources mobilisées par les acteurs non spécialistes sont un point aveugle des politiques de gestion des risques : favoriser leur prise de parole et les formes d’actions bottom-up, constituent autant de pistes, notamment en termes de recherche-action.
  • Au sein de l’Unité, la question du risque peut être saisie par des champs disciplinaires variés, permettant de dépasser les approches techniques et sectorielles. L’atelier permettra de mobiliser l’approche territorialisée pour mieux comprendre :
    • les systèmes de représentation et les paradigmes d’action. Une ressource est donc autant une donnée qu’une construction sociale, ce qui permet d’interroger les représentations à l’œuvre dans toute action visant à l’exploiter – ou à la créer. Les problématiques contemporaines de l’accès à la ressource (entendue au sens matériel, relationnel ou symbolique) ne sauraient donc échapper à une interrogation globale sur les cadres de pensée mobilisés, vernaculaires ou spécialisés (« paradigmes » scientifiques), individuels ou collectifs. Par ailleurs, le recours au temps long est susceptible d’aider à mieux mobiliser la puissance réflexive du décentrement temporel, comme l’illustre déjà, par exemple, le contraste saisissant entre la période contemporaine et les années 1960-70.
    • les stratégies mises en œuvre par les acteurs. L’évolution des ressources dans le temps (raréfaction liée à l’exploitation d’un monde fini ou renouvellement lié à l’innovation) induit d’inévitables transformations dans le champ social. Elle est susceptible de se traduire par des actions visant à préserver les ressources, à en favoriser l’accès ou encore à s’adapter à leurs nouvelles conditions de disponibilité. La connaissance des acteurs impliqués dans ces transformations, de leurs pratiques est une étape clé pour définir les conditions d’usages des ressources visant un accès équitable.
    • l’importance des temporalités (permanence vs changement). Les dynamiques temporelles sociétales et environnementales ne coïncident que rarement, chacune d’entre elles étant marquée par des permanences et des changements, progressifs ou brutaux (crises). Cela produit une mise en tension entre le temps court et le temps long : les temps des pressions n’est pas toujours celui des impacts (ou du moins de la perception de ces impacts), et le temps de la prise de décision et de l’action n’est pas celui de leurs effets. On ne peut donc faire l’économie d’une analyse approfondie de la chronologie des faits, des événements et des processus. Conjuguées aux choix de sociétés et aux positionnements éthiques qui orientent la gestion des ressources, de telles connaissances doivent pouvoir servir de guide à la prise de décision : elles permettent notamment de définir un état de référence pour les milieux produisant les ressources que les groupements en état d’en décider souhaite aujourd’hui gérer, protéger, conserver ou restaurer, de mieux définir les héritages qu’ils souhaitent transmettre et patrimonialiser ou encore, de mieux comprendre l’émergence des situations à risque.