L’architecture vernaculaire de terre crue en Aragon, Espagne

Aragon, 2016 ©Clemençon

Mise en ligne d’un fonds photographique consacré à l’architecture vernaculaire de terre crue en Espagne, photographies d’Anne-Sophie Clémençon

Fonds photographique disponible sur https://phototheque.bibliotheque-diderot.fr : fonds Clémençon, « Les techniques de construction »

  • Photographies : Anne-Sophie Clémençon (CNRS, ENS Lyon, UMR5600)
  • Post-traitement : Anne Courant (ENS Lyon, bibliothèque Diderot Lyon)
  • Expertise technique de la terre crue : Laura Villacampa Crespo (Escuela Técnica Superior de Arquitectura, Universidad Politécnica de Valencia, Espagne)

Contact : Anne-Sophie Clémençon, anne-sophie.clemencon@ens-lyon.fr

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L’architecture vernaculaire de terre crue en Aragon, Espagne, Anne-Sophie Clémençon

L’architecture de terre crue en Espagne

Les publications sur l’architecture de terre dans la péninsule ibérique se concentrent surtout sur le Portugal, le sud de l’Espagne (Grenade, Séville, Murcie), la région de Madrid/Tolède et enfin, sur Valence. L’Aragon, qui possède pourtant une architecture vernaculaire en terre crue importante, est moins étudiée, mis à part les édifices remarquables comme des fortifications. La raison est peut-être due à la modestie de ce patrimoine, qui n’est pas médiatisé comme les palais et les églises, et qui attire peu le tourisme. Il est pourtant digne d’attention, que ce soit par la variété de sa typologie, des hautes maisons à trois étages en centres anciens aux petites constructions rurales isolées, ou par celle de ses techniques constructives, l’adobe et surtout toute une gamme de pisés.

Ce reportage n’est pas un inventaire systématique, mais une approche photographique sur l’architecture vernaculaire de terre crue en Aragon, qui donne à voir l’importance et la variété de ce patrimoine, ainsi que les menaces qui pèsent sur celui-ci. Il montre les bâtiments, leur état, les différents matériaux utilisés, les ambiances et, finalement, la beauté de cette architecture populaire actuellement en grand danger de disparaître. Livrer des images, c’est déjà faire exister cette architecture.

Le reportage et son itinéraire

Ces photos ont été réalisées lors d’une randonnée en vélo allant de l’Atlantique à la Méditerranée du 17 juillet au 15 aout 2016. L’itinéraire relie Hendaye (Irun en Espagne) à Tarragone, en passant par Pampelune et Saragosse, et traverse trois régions : la Navarre, l’Aragon et la Catalogne. L’architecture en terre crue n’a été rencontrée de façon évidente que sur un tronçon précis d’environ 300 km, entre les villages d’Uncastillo en Aragon et de Margalef en Catalogne. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas ailleurs sur le trajet, mais le matériau n’était, alors, pas visible. Deux techniques ont été identifiées : l’adobe (briques de terre crue), et le pisé (bandes de terre compressée). Entre Uncastillo et Monzalbarba , seule l’adobe a été identifié (même s’il est possible que du pisé existe aussi), tandis qu’à partir d’Alforque apparaît le pisé, sans pour autant que l’adobe disparaisse. Dans la plupart des cas, on assiste à un mélange de matériaux : soubassement en pierres et partie supérieure en terre, adobe ou pisé ; mais aussi terre crue associée à la pierre, la brique cuite, le béton, le ciment…

Reconnaître les constructions en terre crue

Les deux techniques de base rencontrées lors de ce reportage, l’adobe et le pisé, se déclinent en de nombreuses variantes, en particulier le pisé, « tapia » en castillant, comme le montre très bien l’ouvrage de Camilla Mileto et Fernando Vegas qui permet de distinguer ces différents types. Comment la terre crue a-t-elle été identifiée au court du reportage ? La première obligation pour la reconnaitre est qu’elle soit visible, soit qu’elle n’ait jamais été enduite, soit qu’une partie de l’enduit soit manquant et la laisse apparaitre. Le mauvais état des constructions en terre identifiées dans ces villages (ruines, ou crépis abimés) a rendu parfaitement visible ces techniques de construction. La couleur de la terre crue est caractéristique. Claire, elle se distingue parfaitement des briques cuites rouges ou jaunes, des moellons gris, du béton et du ciment eux aussi gris. L’usure de la terre crue, l’adobe comme le pisé, est très spécifique. Souvent due à l’eau, elle présente alors des manques en creux, typiques d’un ruissellement. L’adobe est reconnaissable par ses angles arrondis, une forme générale « molle », tandis qu’une brique de terre cuite a des angles qui restent vifs et ne présentent pas la même usure. Le pisé se distingue de l’adobe par ses bandes caractéristiques, en général de dimensions beaucoup plus importantes que celles des petites briques d’adobe. Le pisé peut aussi intégrer d’autres matériaux comme des pierres, du plâtre, des briques, ce qui n’est pas le cas de l’adobe.

Un patrimoine menacé

L’identification de la terre, faite sur les bâtiments abimés, incite à supposer que le reste des villages, souvent dans un état de délabrement avancé, est lui aussi en terre. Une partie des maisons est abandonnée et non entretenue, sans doute du fait d’un départ de la population, alors même que les zones autour des parties urbanisées sont entièrement cultivées (céréales, oliviers, amandiers…), souvent à des altitudes importantes. Ces villages ne sont pas investis par le tourisme et il est évident que l’architecture en terre crue ne constitue pas, pour les habitants, un patrimoine identifié comme tel, la terre étant encore associée, dans les mentalités, à la pauvreté. Dans l’état actuel des choses, si rien n’est fait, ce patrimoine disparaîtra assez rapidement, et cela d’autant plus que les savoir-faire liés à cette technique de construction ont vraisemblablement disparu, comme le prouvent les réparations grossières réalisées en ciment sur les anciens murs en terre. Or, les spécialistes de la construction en terre savent que cette technique du ciment est destructrice lorsqu’elle est appliquée sur ce matériau. Alors qu’en France l’emploi de la terre crue dans les constructions s’est sans doute arrêté au moment de la guerre de 1914-1918, en Aragon, il semblerait que cette technique perdure jusqu’à une période plus récente, vers les années 1950-1960. Cela est visible sur des villas en adobe non enduites dont la typologie permet une datation. Une enquête fondée sur la mémoire orale et un inventaire d’archives pourraient donner des réponses à cette question.

Eléments de bibliographie

Burriel G. J. Allanegui, Arquitectura popular de Aragón, Zaragoza, Librería General, 1979.

Mileto Camilla y Vegas Fernando (editores), La restauración de la tapia en la península Ibérica. Criterios, técnicas, resultados y perspectivas. Argumentum PC, 2014.

Vegas Fernando, Mileto Camilla, Cristini V., Reinforcement of rammed earth constructions with gypsum in Aragon area, Spain, en Mediterra – 1st Mediterranean Conference on Earth Architecture, Edicom, Udine, pp. 99-108, 2009.

Villacampa Crespo Laura, Mileto Camilla, Vegas Fernando & García Soriano Lidia, La arquitectura tradicional de tierra en las comarcas de Comunidad de Teruel, Sierra de Albarracín y Cuencas Mineras de Teruel (Aragón, España), XIII Congreso Internacional de Arquitectura de Tierra (CiaTTI 2016).

Villacampa Crespo Laura et al., Earthen architecture in Aragon, Spain. SOStierra 2017. International conference on vernacular earthen architecture, conservation and sustainability (à paraître).