15 novembre 2024 – Séminaire commun “Flux & circulations” et “Faire territoire faire société”

Photo Eric Desson/JDD/Sipa

Vendredi 15 novembre 2024 – 10h à 12h30 – 18, rue Chevreul Lyon 7

Repaires en conflit minier. Le cas du PERM (Permis Exploratoire et de Recherche Minière) de Couflens-Salau en Ariège.

Résumé. A partir de l’étude d’un conflit minier dans les Pyrénées, je propose le concept de repaire afin de qualifier ce qui compose les milieux humains (Berque, 2016). Issue d’une recherche doctorale, ma proposition s’appuie sur les résultats d’une enquête ethnographique associée à la réalisation d’un film documentaire. L’une comme l’autre ont trait au projet de réouverture d’une ancienne mine de tungstène (1971-1986) en Ariège, et à la double lutte habitante qui en résulte depuis 2016 : pour et contre la mine.

Nourri des façons divergentes de voir/faire avec l’espace dans le temps long, ce conflit minier mérite d’être envisagé en effectuant un pas-de-côté. En effet, que ce soient à travers les paysages, les infrastructures, les animaux ou encore la “nature”… individus et collectifs tentent sans cesse d’incarner leurs arguments dans tout un tas d’objets géographiques, bien au-delà de l’ancienne mine en tant que telle. Autant de formes matérielles dont la fonction est de symboliser le social (Chivallon, 2008). Or celles-ci me semblent se trouver au cœur de ce qui compose les milieux humains, de surcroît moduler le passage de l’expérience intime à l’expérience collective d’un territoire. Je propose de les nommer repaires.

Prolongeant les affordances gibsoniennes, le concept se situe à l’interface de la mésologie (Berque, op.cit.) et des théories spatiales de l’imaginaire (Chivallon, op.cit. ; Debarbieux, 2015). L’étymologie double du repaire/repère permet d’appréhender de façon non-binaire les éléments du milieu tels qu’ils sont saisis par l’individu, le collectif ou la société qui les pratique et contemple. Repères cartésiens, mesurables, cartographiables (topos), ils sont aussi repaires existentiels et symboliques (chôra), synonymes d’attachements aux lieux (Sébastien, 2016). Faire une géographie des repaires, c’est matérialiser l’habiter (Stock, 2015) dans l’espace et déceler les relations de pouvoir qui s’y nouent, à travers les objets géographiques qui font sens dans l’expérience du monde de tout un chacun.

Ainsi le déchirement parmi les habitant.e.s face au futur projet minier est à l’image des divergences quant aux façons de vivre et pratiquer leur milieu de vie. Et le conflit minier, le théâtre d’une confrontation inégale : entre la perte des repaires du monde rural prémoderne (Dalla Bernardina, 2011) d’une part, puis l’imposition progressive des repaires de la néoruralité (Saumon & Tommasi, 2022) d’autre part. Il met en lumière les transformations de long cours dans ce territoire montagnard de marge, où désormais s’associent plus qu’elles ne se confrontent, politiques d’extraction minière et ensauvagement (Barraud & al., 2019). Un binôme à l’image du registre de l’exploitection caractéristique de l’État moderne (Stépanoff, 2021), qui questionne en retour les formes de vie possibles dans des vallées fortement enclavées, et l’aménagement qui les sous-tend.

Barraud, R. & al. (2019). Ensauvagement et ré-ensauvagement de l’Europe :  controverse et postures scientifiques, Bulletin de lassociation de géographes français, 96(2), 301-318.

Berque, A. (2016). Ecoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 448p.

Chivallon, C. (2008). L’espace, le réel et l’imaginaire. A-t-on encore besoin de la géographie culturelle ?,Annales de géographie, 2-3(660-661), 67-89.

Dalla Bernardina, S. (2011). Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale, Presses Universitaires de Rennes, 132p.

Debarbieux, B. (2015). Lespace de limaginaire. CNRS Editions.

Saumon, G., Tommasi, G. (2022). La Néoruralité. Recours à la campagne, Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, Coll. L’Opportune, 63p.

Sébastien, L. (2016). L’attachement aux lieux, vecteur de mobilisation collective ? Etude de cinq territoires ruraux, Norois, 1-2(238-239), 23-41.

Stépanoff, C. (2021). L’animal et la mort. Chasses, modernité et crises du sauvage, Paris, La Découverte, 2021, 384 p.

Contacts : Antoine Fontaine (antoine.fontaine@cnrs.fr) et Emmanuel Martinais (emmanuel.martinais@entpe.fr)