séance du 17 janvier 2020 : d’une berge à l’autre, espaces en tensions

Vendredi 17 janvier 2020 (9h30-12h30), salle 604, 18 rue Chevreul, 69007 Lyon

D’UNE BERGE À L’AUTRE : ESPACES EN TENSIONS

Séance organisée par Dominique Chevalier (MCF-HDR Université Lyon INSPE / UMR EVS). La séance est libre et ouverte à un large public.

Centre-ville de Recife. Collection personnelle de Claudio Jorge Moura de Castilho

 

      Les berges des fleuves sont au cœur de nombreux projets urbains. Entre reconquêtes, requalifications, (ré)appropriations et dominations, les possibilités de tensions sociales, politiques et économiques sont multiples.

      Trois intervenants aborderont ces questions à partir de temporalités et d’exemples diversifiés :

Louis Baldasseroni, À la source de « l’autoroute urbaine ». Tensions autour de l’appropriation publique et monofonctionnelle des quais du Rhône dans les années 1950 à 1990.

Docteur en Histoire contemporaine (Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Laboratoire ACP), ATER en Urbanisme à l’École d’Urbanisme de Paris. Page professionnelle : http://acp.u-pem.fr/equipe/louis-baldasseroni

      Dans le contexte actuel de « reconquête » des espaces fluviaux urbains, avec des discours politiques qui vantent les liens retrouvés entre la ville et son/ses cours d’eau, cette communication propose d’interroger sur une longue durée cette orientation récente de l’aménagement urbain. Il s’agit de nuancer la rupture affirmée avec les décennies précédentes, trop rapidement désignées comme une période de « tout-automobile », en éclairant les évolutions des tensions entre aménagement routier et insertion dans l’environnement local. Le caractère particulier de ces territoires fluviaux est à appréhender dès les années 1930-1950 en termes de ressources pour les aménageurs de voies routières, avec pour résultat des infrastructures rigides qui font obstacle à la multifonctionnalité et aux liens avec le fleuve, aujourd’hui très recherché.

      Ces tensions sont particulièrement intéressantes à étudier avec le cas de l’axe Nord-Sud de Lyon, voie routière implantée sur les quais de la rive droite du Rhône à la fin des années 1950. L’étude des archives techniques de cette voie (des services municipaux et des Ponts-et-Chaussées) permet de la réinscrire dans l’évolution des rapports complexes entre la ville et son fleuve, à rebours des discours simplificateurs qui l’assimilent à une « autoroute urbaine ».

Claudio Jorge Moura de Castilho, L’appropriation privée de berges à Recife (Brésil).

Professeur-chercheur au Département de Sciences Géographiques de l’Université Fédérale du Pernambuco, Coordinateur du MSEU (Laboratoire Mouvements Sociaux et Espace Urbain).

      Actuellement, un évident processus d’appropriation privée des berges du fleuve Capibaribe à Recife est en œuvre, en raison notamment de la valorisation symbolique et économico-financière de ces espaces par les élites locales. Il s’agit, en réalité, d’une réappropriation d’espaces auparavant abandonnés par ces mêmes couches sociales désireuses aujourd’hui de les (re)occuper afin de renforcer leurs intérêts de classe dans la ville. Pour ce faire, au travers d’une politique urbanistique basée sur des idées hygiénistes, l’État s’occupe de promouvoir les travaux de construction et les infrastructures nécessaires ainsi que d’articuler des actions pour éloigner les couches sociales pauvres qui se trouvent dans les aires convoitées.

Yves Le Lay, Le modèle de la « reconquête » des berges à l’épreuve des situations locales

Maître de Conférences à l’ENS de Lyon, UMR 5600 EVS.

      Le syntagme « reconquête des berges » est fréquemment utilisé dans le cadre des projets urbains. L’idée de reconquête est révélatrice de la stratégie de domination qui s’exerce à l’égard du contact ville-fleuve. Ces projets d’aménagement peuvent se lire selon deux cadres théoriques, celui des circuits du capital et celui des hétérotopies.

      D’une part, D. Harvey (1 985 et 2003) distingue trois circuits du capital. Cette réflexion radicale a ensuite été prolongée en repérant un quatrième voire un cinquième circuit (Jauhiainen, 2006 ; Seixas, 2014). Ces derniers sont associés à la « ville du jeu » en faisant référence aux activités de loisirs pour les jeunes (et aux activités de soin pour les personnes âgées), mais aussi à la « ville du virtuel » avec notamment la promotion de l’image de la ville.

      D’autre part, dans une conférence radiophonique, Foucault (1967) explique que toutes les sociétés ont des hétérotopies. Spatialement, les hétérotopies présentent un système d’ouverture et de fermeture par rapport à leur environnement. De plus, elles juxtaposent plusieurs espaces dans un seul lieu réel, comme le jardin, le zoo ou l’aquarium qui sont conçus comme des microcosmes. D’un point de vue actoriel, les hétérotopies fonctionnent comme des espaces de compensation ou d’illusion.

      Les projets de reconquête des berges misent sur l’altérité pour leur redonner de l’attractivité. Le paysage fluvial est hanté par quelques témoins des écosystèmes aquatiques, par des héritages des anciennes activités liées au fleuve, par des références fantomatiques aux projets architecturaux et urbanistiques réalisés dans d’autres métropoles ou encore par l’anticipation de ce que pourrait être la ville de demain. Cinq dimensions de ces projets seront ainsi explorées :

– Hétérochronie : le permanent et l’éphémère

– Spectralité temporelle : références au passé et avant-gardisme

– Thématisation et exception

– Une fonction par rapport au reste de la ville : le divertissement

– Ouverture et fermeture.

      Les changements paysagers que de nombreuses villes ont initiés sur leurs berges fluviales procèdent d’une volonté de reconquête et, partant, de domination sur un espace qui est souvent considéré comme au bord du monde. Malgré leur intensité, les opérations de réaménagement ne font pas table rase du passé : grues, portiques et hangars continuent de hanter les berges. De manière similaire, même si la limite terre-eau a été simplifiée, durcifiée et repoussée au profit de la ville, quelques bribes de nature urbaine sont également mises en valeur. Ces éléments fantomatiques favorisent le ressourcement des usagers. Il n’en demeure pas moins qu’un même modèle urbanistique se retrouve à l’échelle mondiale, ce qui n’est pas propice à l’invention pragmatiste de réponses qui émergeraient à mesure que se définit une situation locale questionnante.