9ème RDV « Bien-être et Nature en Ville »

Mardi 21 mars 2017

16h-18h en salle 604, 18 rue Chevreul 69007 LYON

Titre du séminaire : Ville, périurbain et espace rural, tantôt convoités, tantôt méprisés

Avec : Jean-Marc STEBE, sociologue, Université de Lorraine (Laboratoire lorrain de sciences sociales (2L2S) – Nancy)

Animation : Lise BOURDEAU-LEPAGE, géographe (UMR 5600 EVS)

Présentation du séminaire :

Lors de ce RDV, Jean-Marc Stébé aura comme principale ambition de montrer comment la ville (l’urbain) d’un côté et la campagne (le rural) de l’autre sont devenus tour à tour objet de désir et de convoitise et objet de dédain et de mise à distance, tantôt adulé, tantôt méprisé.

1. Un engouement pour la ville

Pendant plusieurs siècles, la ville (la ville classique, commerciale ou industrielle) a attiré les populations venant trouver un travail, cherchant à gagner leur vie, ou encore allant « faire fortune ». « Monter à la ville » était considéré comme une promotion, comme une aventure vers de nouveaux horizons radieux, vers des espaces prometteurs économiquement, culturellement et socialement : on avait envie de quitter son village, village vécu comme hors de la culture légitime et éloigné du progrès ; on souhaitait s’éloigner de sa terre, terre considérée comme difficile à cultiver ; on voulait rompre avec ses racines villageoises, racines vécues comme pesantes. C’est ainsi que jusqu’au début des années 1960, la ville a été associée à un espace aux nombreuses qualités et traversée par des mythes positifs : « l’air de la ville rend libre », « seule la ville permet de s’accomplir », « la ville, c’est la liberté », « la ville, c’est le lieu des plaisirs »…

2. Renversement idéologique : le rural retrouve ses heures de gloire

Dans les années 1970, on assiste à un renversement idéologique. À la faveur de la « crise urbaine » et de la montée en puissance des idées néo-ruralistes, campagne et paysannerie sont réhabilitées. La grille d’analyse des rapports ville-campagne renouvelle les termes d’une contradiction déjà bien connue ; d’une part, les valeurs positives du « retour à la nature » incarnées par l’espace rural sont construites dans l’opposition à une ville oppressante et polluée où il ne fait pas « bon vivre » ; d’autre part, la relation entre urbain et rural s’énonce en termes inégalitaires, d’un espace rural convoité et dominé par la ville et les urbains.

Les années 1980 voient le rural consacré à double titre : à la fois à travers la notion de nature objectivée dans la montée des problèmes d’environnement et dans ses capacités d’organisation locale permettant une alternative à la crise du modèle de développement fordiste. Le processus de diffusion s’inverse, les expérimentations de développement local menées initialement dans les espaces ruraux fragilisés sont exportées dans les quartiers urbains sensibles. Ces deux tendances s’exacerbent dans les quinze années suivantes, dans un contexte d’accentuation et de généralisation de la crise – on parle autant, si ce n’est plus, de « crise urbaine » que de « crise rurale » –, d’irruption de la mondialisation et de paroxysme des enjeux environnementaux. Rural et urbain se construisent dans un rapport ambivalent et controversé, conduisant à un brouillage de l’identification et du rural et de l’urbain. La figure d’un espace rural désertifié face à la généralisation de l’urbanisation, largement relayée par les médias et les acteurs politiques, cohabite avec une figure idéalisée d’un espace rural refuge des maux urbains, lieu de la proximité et faire-valoir de la construction de nouveaux rapports sociaux. On est passé de l’urbanisation des campagnes à « l’urbanité rurale » pour désigner l’émergence d’une nouvelle catégorie de territoires ruraux.

3. L’expansion de la ville : attirance pour les espaces périurbains proche et éloigné

La caractéristique majeure de la ville contemporaine réside dans son expansion au-delà de ses frontières historiques. Dès lors, la symbolique de la ville-centre a été mise en péril étant donné que la ville compacte et dense s’est trouvée menacée par le phénomène de périurbanisation. Celui-ci se caractérise par la prolifération d’un tissu urbain s’éloignant toujours plus du centre- ville (voies de communication routières, zones commerciales et industrielles, lotissements pavillonnaires…).

L’engouement pour le périurbain s’est accentué à partir de la fin des années 1960 sous la poussée de l’élévation générale du niveau de vie et de la diffusion massive de l’automobile. L’un des ressorts de la périurbanisation est certainement à rechercher du côté des classes moyennes, et plus précisément dans leur volonté d’accéder à la propriété d’un pavillon individuel. L’attirance pour la maison réside également dans les représentations positives que véhiculent les habitants à l’égard de la propriété : valorisant celle-ci, ils aspirent en effet à ne pas être enfermés physiquement dans un immeuble collectif avec des « voisins encombrants de tous les côtés » et assujettis juridiquement par un règlement de copropriété. En outre, la maison individuelle située dans le périurbain voit son pouvoir d’attraction renforcé du fait de sa proximité avec la nature et du bien-être qu’elle est censée procurer : les paysages champêtres et agricoles procurant aux résidents un repos visuel, auditif, mais également psychologique. Néanmoins, il est nécessaire de préciser que le rapport qu’entretiennent les périurbains au monde rural et à la nature est relativement ambivalent: si les habitants des quartiers pavillonnaires se disent volontiers campagnards, il reste qu’ils sont aussi et surtout des urbains. Autrement dit, l’habitant du périurbain ne fuit pas forcément la ville, il veut les avantages, et de la ville, et de la campagne.

4. Des hybridations entre l’urbain et le rural

Il existe immanquablement des relations entre le monde urbain et l’univers rural, et pour être plus précis, nous sommes face à deux territoires qui ne sont pas étanches, bien au contraire, on repère des transferts de l’un vers l’autre.
Tout d’abord, on distingue des transferts de l’urbain vers le rural : par exemple, une nouvelle façon d’appréhender le temps ; autrement dit un temps qui s’affranchit des contraintes de la nature et des rythmes des saisons. Des références spatiales qui s’effacent au profit des références temporelles au point de nier l’importance de l’identité locale, des lieux chargés d’histoire. Ou encore une perception du monde plus globale (Internet, médias…) avec entre autres une gestion de la nature grâce à Internet (vente des produits de la ferme, suivi du cours de la bourse pour les céréales…).

Puis, on relève des transferts du rural vers l’urbain : comme par exemple une perception de la nature plus authentique, plus « naturelle » ; ou encore le développement d’un empirisme quotidien et concret avec davantage d’épaisseur sensorielle et d’engagement dans le rural.

C’est ainsi que le périurbain incarne un espace de dialectisation de l’urbain et du rural : on peut ainsi parler d’urbanisation du rural et de ruralisation de l’urbain. Si des hybridations se développent entre le rural et l’urbain, il n’en reste pas moins que des oppositions fortes existent entre ces deux mondes.

5. « Retour en ville » : la ville, de nouveau objet de convoitise

Quelques sociologues et géographes urbains (C. Bidou-Zachariasen, 2003 ; Christophe Guilluy et Christophe Noyé, 2006) ont repéré que depuis une trentaine d’années se produit dans de nombreuses villes françaises, européennes et du monde un retour des classes moyennes vers les quartiers anciens des centres-villes à fort valeur patrimoniale ou vers les villes-centres des grandes aires urbaines.

Ce phénomène, que les chercheurs appellent depuis les travaux de la sociologue marxiste Ruth Glass en 1964 « gentrification ».
Ce n’est que dans les années 1970-1980 que la notion est reprise par des chercheurs anglais et nord-américains, principalement géographes, qui théorisent la notion de gentrification. Celle-ci est reconnue comme une « bifurcation » dans l’évolution sociale des quartiers centraux dégradés des grandes villes, à rebours des modèles d’écologie urbaine de l’Ecole de Chicago. On parle alors de « retour au centre », de « retour en ville » des classes aisées et moyennes supérieures, même s’il s’agit plutôt d’un non départ en banlieue que d’un véritable retour en ville.

Les « gentrifieurs » – plus communément dénommés les « Bobos » ou les « Hipsters » – investissent les centres-villes anciens dans l’espoir de changer la ville et de créer un nouveau cadre de vie agréable – une ville soutenable – avec des espaces de travail ou de vie partagés (co- working, fab labs, habitat groupé…), des moyens de déplacement moins polluants, des lieux d’échange et de convivialité et avec des circuits de distribution courts (AMAP…).

 

Bibliographie

2016, avec J. Damon et H. Marchal, « Les sociologues et le périurbain : découverte tardive, caractérisations mouvantes, controverses nourries »,Revue française de sociologie (vol. 57, n° 44, 619-639).                                                                                                                            2016, Le logement social en France, Paris : PUF (7e édition).
2016, avec H. Marchal et M. Bertier, Les idées reçues sur le logement social, Paris : Le CavalierBleu.
2014, avec H. Marchal, Les grandes questions sur la ville et l’urbain, Paris : PUF. 2011, Qu’est-ce qu’une utopie ? Paris : Vrin.
2010, La crise des banlieues, Paris : PUF (4e édition).
2010, avec H. Marchal, Sociologie urbaine, Paris ; A. Colin.
2010, avec H. Marchal, La ville au risque du ghetto, Paris : Lavoisier.
2009, avec H. Marchal, Traité sur la ville, Paris : PUF.